foutu corps

  • Témoignage de Patricia - Partie 1 - Foutu Corps

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    CH(s)OSE a lancé, il y a quelques mois, l'idée de proposer une rubrique "Témoignages" et de faire appel à vos talents créatifs d'écriture, de vidéaste, de dessinateur, pour partager ce que vous ressentez, ce que vous traversez, ce que vous avez envie de nous dire sur ce sujet du handicap et de la sexualité.

    Patricia a gentiment répondu en nous proposant trois formidables textes pour exprimer son ressenti de personne en situation de handicap. Elle se livre toute entière et met son âme à nue.

    Aujourd'hui nous vous partageons son premier texte "Foutu Corps"... POIGNANT !

     

    Foutu Corps

    "Il est là, allongé, inerte, tel un vieux bout de bois pourri. Mon corps, puisque c’est de lui dont il s’agit, ne me sert à rien. Je le regarde tous les jours avec de la pitié et du dégoût. Pauvre mec. Espèce d’incapable. Tout ça, c’est de ta faute. Si tu n’étais pas dans cet état de décomposition totale, nous n’en serions pas là. Tu te rends compte à quel point tu nous prives, tous les deux, des merveilleuses choses qui nous entourent ? Je sais pertinemment que tu en souffres aussi, mais au lieu de te relever et d’assurer comme un homme, tu n’es qu’une loque humaine, un bon à rien. Je veux plus de toi. Casses-toi ? Je ne peux même plus te regarder en face. Bon sang, tu ne vois pas qu’on tombe ? Que je tombe ! Car à vrai dire, toi je m’en fous, tu peux crever ! Le problème c’est qu’on est deux et qu’on est liés par cette putain de vie, alors je ne te laisserai pas me détruire complètement. Relève la tête minable, bats-toi. Tu veux manger n’est-ce pas ? Tu crèves de faim ? Mais pour ça, il faut que tu ailles au charbon. Pour commencer, il faut que tu sois présentable. Tu crois que quelqu'un pourra te regarder dans cet état ? Tu es mou, tu es moche, tu es paresseux, tu restes là statique sans bouger le petit doigt. La bouffe ne te tombera pas du ciel. J’ai essayé à maintes reprises de t’aider, avant qu’il ne soit trop tard, mais non, Monsieur n’en fait qu’à sa tête. Ha !! Il est beau le résultat !! Et moi ?  Tu as pensé à moi, même une seule seconde ? Non, jamais, tu n’as fait que baisser les bras sans te soucier des conséquences du mal que cela pouvait me faire. Je me tords de douleurs chaque jour en essayant de trouver une solution, je ne peux pas te porter tu es est bien trop lourd pour moi, et tu m’entraînes avec toi dans cette descente aux enfers. Moi ce que je veux c’est vivre, être libre, voyager, aimer, marcher, courir, toucher. J’ai envie de hurler à la mort quand je me rends compte que ces plaisirs simples et pourtant vitaux me sont inaccessibles. Pourquoi moi ? Pourquoi m’as-tu choisi ? Tu aurais pu échouer partout ailleurs, chez un être humain plus faible qui se contente d’une petite vie bien tranquille. Non, il a fallu que tu viennes t’échouer sur moi. Que tu te jettes à corps perdu dans mon esprit. Ton inertie me pèse. Vois ! Vois à quel point plus les années passent, plus je perds goût à la vie. Moi qui au départ était une enfant pleine de vie, de rire, de joie… J’étais pleine de rêves, j’aimais cette innocence dans laquelle je me trouvais. À présent mon quotidien n’est fait que de tristesse et de désespoir. Voilà, depuis ta venue chez moi, tu peux constater à quel point je suis tombée bien bas. Je me suis fanée. Finalement, je fais autant pitié que toi. Tu t’es immiscé dans mon esprit, dans mon âme, et petit à petit, tu as réussi à les contaminer. J’ai tout fait pour les sauver, mais rien n’y fait.  Il y a quelque chose qui m’échappe quand même. Comment se fait-il que depuis des années et des années tu me répètes sans cesse que ton désir le plus profond c’est de toucher l’autre ? Or je ne t’ai jamais vu tenter le moindre mouvement quand tu en as eu l’occasion. Comment veux-tu que je te fasse confiance ? Pourtant, même si elles sont très rares, tu as eu l’opportunité d’agir, d’ailleurs en ce moment tu en as une très belle, jamais tu retrouveras une  occasion comme celle-là... Mais non, tu te dégonfles, t’es une vraie mauviette, un lâche. Voilà pourquoi je n’ai plus aucun respect pour toi.

    Tiens, c’est curieux, à ces derniers mots j’ai pu constater une petite réaction. Il vient de bouger un bras, comme pour me dire qu’il était d’accord avec ce que je venais de dire. Je t’ai fait une promesse et je la tiendrai, sache que cela demande d’énormes efforts de ma part, notamment d’organisation, mais aussi d’investissement personnel car tout mon être est occupé depuis bien des mois, mais je sais que tu en as terriblement besoin alors j’ai accepté de te payer quelqu’un pour que tu puisses t’épanouir, je ne veux que ton bien-être contrairement à toi. Petite précision t’as vraiment intérêt à assurer sur ce coup ! Je te tiens à l’œil et inutile de te dire qu’après cela j’attends un sursaut de ta part.  Alors je te demande pour la énième et énième fois de faire des efforts, lève-toi, bats-toi, agis bon sang ! Tu n’es pas le seul à souffrir. Si tu veux, je suis là pour t’aider, mais je ne ferai pas tout le boulot à ta place. Je compte sur toi, sinon je te le dis honnêtement je serai dans l’obligation de prendre des mesures drastiques contre toi. Notre cohabitation ne peut plus durer.

    À toi de voir…"

    Patricia